Attention Privé, épisode 2
Jérôme toutain, détective privé passablement démodé qui se prend pour Philip Marlowe, enquêtait quand il a trouvé un cadavre. Il en informe sa cliente qui est aussi une amie de longue date.
Episode 2
- Et ta mère, Karine ?
- Nous essayons de la joindre depuis vingt minutes, dit Eric en se levant, vous voulez boire quelque chose, Monsieur Toutain ?
- Oui, un whisky sans glace s'il vous plaît.
Autant Karine était un beau brin de fille, intelligente, racée, autant son frère avait un air sournois que Jérôme détestait.
Madame Fabry fut enfin jointe, déclara n'avoir rien à voir avec les histoires tordues de son ex et qu'elle voulait avoir la paix.
"Belle mentalité", pensa Jérôme, et il songeait surtout à ce qu'il adviendrait de Karine. Il l'avait connue un soir de rafle alors qu'il était encore flic. Elle avait été prise avec des petits voyous après une dénonciation. Suite à des coups de fil hauts placés, tous ces jeunes gens s'en étaient sortis sans dommage. Son père était son « protecteur » si on pouvait dire. Karine était de ces jeunes filles riches désœuvrées facilement manipulables.
Jérôme repensa à toute cette histoire, songeur, puis s'arrêta devant une vitrine et alluma une cigarette. A la lueur de l'allumette, il crut voir le reflet d'une tête qui ne lui était pas inconnue. "Joe-les-doigts-d'acier, se dit-il, qui aurait intérêt à me filer ?". Après de nombreuses ruses, il décrocha son suiveur. Il monta les escaliers qui menaient à son bureau quatre à quatre, s'arrêta quelques secondes pour admirer les lettres d'or qui ornaient sa porte, « JÉRÔME TOUTAIN, DÉTECTIVE PRIVÉ ». Il en avait rêvé toute sa jeunesse et ça y était, il l’était… Il fit jouer la serrure et entra.
- Salut Beauté, les nouvelles sont bonnes ?
Annie, son assistante, était derrière son bureau, rangé de façon impeccable. C’est même à ça qu’on le reconnaissait.
- Déjà ? Répondit-elle, Blonde ou brune ?
- Tu sais bien Nini qu'j'préfère les blondes.
- Bon passons sur ton humour passablement démodé, le téléphone a sonné deux fois depuis 5 heures. Un record ! Eh, est-ce que tu m'écoutes ?
Jérôme pensait à la belle Samia. Elle en savait plus qu'elle ne l'avouait. Il faudrait s'occuper d'elle.
- Oui chérie, je t'écoute.
- Lagrue a du nouveau. Il a demandé à ce que tu ailles le voir et que sa dette serait acquittée. Il a bien insisté sur ce dernier point. Quelle dette Jérôme ? Tu ne m'en as jamais parlé. Tu lui dois de l’argent ? Demande-moi, j’ai de petites économies…
- De l'histoire ancienne...
Jérôme saisit son blouson qu'il avait balancé sur une chaise en arrivant et sortit, ayant pris à peine le temps de se poser. Arrivé au commissariat, il y trouva une grande effervescence. On venait de trouver le présumé assassin de Fabry. Jérôme se renseigna et apprit qu'il s'agissait de Joe-les-doigts-d'acier. Et en plus, il avait été retrouvé mort ! La seule preuve de son acte était une lettre nichée dans son veston. Jérôme se demanda s’il devait attirer l'attention sur le fait que le bonhomme était illettré. Son estomac lui proposait des réponses contradictoires. Comme Lagrue semblait l’avoir oublié, il s’éclipsa.
Une idée lui trottait bien dans la tête et cette idée s'appelait Eric Fabry.
Jérôme laissa donc Lagrue à ses hypothèses en se disant qu’il serait bien temps d’en parler avec lui et d’un coup de Mustang, arriva chez Eric Fabry, sonna chez le jeune homme qui, visiblement, avait des revenus assez considérables, au vu de la maison où il vivait. Piscine, jardinier, marbre dans l’allée, caméras de surveillance et portail sécurisé.
Arrivé devant la porte d’entrée au bout d’une longue allée, Jérôme perplexe, se retrouva par terre. Le temps de comprendre que c’était un garde du corps massif qui l’avait pris pour un cambrioleur, il se releva et lui flanqua son poing dans la figure. Le colosse s’esquiva juste quand Eric Fabry arriva. Jérôme fit son possible pour le ranimer, peu fier d’avoir mis KO un homme plus faible physiquement que lui. Par inadvertance, il va sans dire…
Le détective sortit de là un peu défraîchi et quelque peu désorienté. Après des soins prodigués par une gouvernante, (Ça existait encore ces oiseaux-là ?) le jeunot avait à peine lâché quelques mots confus aux questions de Jérôme. Pour lui, Eric Fabry était un jeune parvenu, lâche et qui jouait les idiots, ce qui est trop peu pour être à la tête de l’empire que son père contrôlait. Et ça c’était l’avis de Fabry père, politicien en vue, de surcroît.
Encore un peu à côté de ses pompes, Jérôme courut voir la bonne Annie qui le soigna en le sermonnant. Parfois ça faisait du bien. Il s’avoua qu’elle était parfois bien plus qu’une assistante…
Elle attendit d’avoir mis un pansement sur son nez écorché pour lui parler de Karine. Jérôme ne fit qu'un bond en réalisant ce qu’Annie lui disait et se précipita comme un fou dans les escaliers.
La jeune femme venait d'échapper à un attentat. Elle avait demandé au groom de l'hôtel où elle était descendue d'aller chercher sa voiture. Groom et voiture avaient explosé ensemble.
Jérôme alla la consoler. Karine et lui, c’était une longue histoire, même après leur première rencontre, pleine de rebondissements. Il resta même avec elle toute la nuit, "par prudence", se dit-il. Est-ce le danger qui les força à dormir dans le même lit ? Karine se sentait anxieuse. Bon sang ! pensa Jérôme, avec tout son pognon ! Anxieuse ? Qu’est-ce que je devrais dire ?
Le lendemain devait avoir lieu la lecture du testament de Fabry. Jérôme y accompagna Karine. Il se mit à comprendre certaines choses lorsque Samia, l’escort girl du Palais des Plaisirs, se présenta à la porte du notaire. Jérôme fut invité à attendre dans le couloir.
À l’air de Samia lorsqu'elle sortit, Jérôme en conclut que Fabry était bien plus qu'un gros client fidèle. "Même avec son air d'ancienne majorette, sapée comme une bourg', pensa Jérôme, sa jolie tête bouillonne bien assez pour commanditer une espèce de meurtre ou autre et faire éclater en morceaux la Jag' de Karine. Peut-être ai-je raison de croire qu’elle en sait plus avec son air de pute des grands chemins."
Karine et Eric étaient seuls héritiers, Samia n'avait que quelques broutilles. Toutefois, Karine avait certains avantages sur des sociétés non négligeables.
Ce soir-là, Jérôme traîna dans des quartiers où Samia aurait bien pu tapiner avant de vivre au Palais des Plaisirs. Il ne trouva aucune fille la connaissant, de nom ou de visage. Ce fait intrigua fortement Jérôme qui téléphona à Annie et la réveilla pour lui demander "un max de tuyaux sur cette beauté mi-ange mi-démon des quartiers chics". Annie avait la tête embrumée et assez claire pour lui répondre : "Vas te faire foutre". Jérôme connaissait son humeur au réveil, n'étant pas à son bout d'essai, il composa le numéro une deuxième fois.
Puis poussé par une intuition, il fila tout droit chez la belle Samia. Chance, elle était là. Il lui fit le coup du charme pour qu'elle ôte la chaîne de la porte. Lorsqu'elle ouvrit, il envisagea de terminer sa soirée dans ce somptueux appartement. Tentures lourdes aux fenêtres, doux parfum de musc et d’encens dans l’air. Une corbeille offrait de succulents fruits et les cartons d’un traiteur chic trainaient sur le plan de cuisine.
Samia avait un peignoir blanc en soie sous lequel des dessous rouges – certainement aussi en soie - se dessinaient, extrêmement provocants.
Jérôme hésita quelques instants, à peine. Les yeux noirs de la belle, cernés de khôl, avaient trop l'air de se foutre de lui.
- Bonsoir beauté, tu dormais ?
- Je suis du soir, as-tu oublié ?
- C'est étonnant, j'ai été voir tes anciennes collègues et aucun souvenir ne leur revient d’une Samia.
- Bien sûr, mon gros loup, je suis canadienne et peut-être pensais-tu que la France était mon terrain de jeu ?
"Un point pour elle, pensa Jérôme, elle est bien plus futée qu'elle veut bien l'avouer"
Jérôme chercha vainement ce qu'il pourrait bien faire de sa soirée. "Décidément, je n'ai rien de prévu" et il regarda Samia avec des yeux gourmands. Il l’écarta de sa liste de suspect sans toutefois la rayer complétement. Il s’autorisa une soirée de liberté. Comme Samia, il était du soir. « Un point commun, se dit-il ».
Elle s'était assise sur le lit et éteignait sa cigarette. Ses deux longues jambes se refermèrent sur Jérôme et le firent basculer sur elle. Son parfum mêlant la violette et le patchouli monta en lui. Peau contre peau et le bruissement discret de la soie à son oreille, ils s’emmêlèrent sensuellement. Tout cela l'étourdit un peu et toute conversation devint superflue. "Elle a vraiment beaucoup de savoir-faire !", se dit Jérôme en connaisseur avant de s'abandonner à son phantasme : consommer sans payer. (à suivre…)