Attention Privé, le feuilleton de l'été, épisode 3 et FIN
Jérôme Toutain se prend pour Philip Marlowe, détective des années 50. Il a trouvé le cadavre de sa cliente. ça sent mauvais…
Episode 3 et Fin
Peu de temps après le lever du soleil, une première cigarette à la main, étendu dans la soie luxueuse du lit de Samia, Jérôme savoura cette nuit délassante et relaxante dans cette affaire corsée qui le mettait parfois mal à l’aise. C’est bien une chambre de nana, se dit-il en jetant un œil circulaire sur le papier peint fleuri de petites roses et sur la quantité phénoménale de bibelots. Il était plein de préjugés, le savait et n’en faisait pas une priorité. Entendant parler dans la pièce voisine, il enfila son jean en vitesse et prêta l'oreille, torse nu, l’oreille collée à la porte. Jérôme reconnut sans peine la voix de l’interlocuteur de Samia, Eric Fabry.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? J’avais pourtant été claire sur ce point. Pas chez moi, s’insurgeait Samia.
"Le père et maintenant le fils, comme c'est intéressant, pensa Jérôme, elle a un appétit d’ogre cette petite !"
- Je crois que le privé, hum… Toutain, a un peu cuisinée ma sœur et il a des soupçons.
- Et tu as peur qu'on découvre tes petites magouilles, sale petite larve ? Sors d'ici ! Le privé, je m'en charge.
Puis Jérôme entendit Samia claquer la porte, furieuse.
"Donc, elle se charge de moi, se dit-il, je ne sais pas ce que ça veut dire et je n’ai pas envie de le savoir maintenant." Il ouvrit la fenêtre et se retrouva dans le genre de situation qu'il préférait d'ordinaire éviter : six étages au-dessus du vide. Il suivit la corniche jusqu'à la fenêtre voisine qui, heureusement, était ouverte. Quelqu'un dans la salle de bain cria :
- C'est toi Henri ?
Jérôme se précipita vers la porte d'entrée sans un trait d’humour qui lui manquait à cet instant puis il ouvrit et referma doucement la porte d’entrée avant qu'une matrone surmontée d'une tête de loup en guise de coiffure ne surgisse de la salle de bain.
Il finit de lacer ses baskets tranquillement – l’expérience, sans doute – avant de s'élancer dans les escaliers. Il arriva essoufflé à son bureau où Annie, tranquille, épluchait le journal, une tasse de thé à la main, et les pieds sur le bureau.
- Où es-tu encore allé te fourrer ? demanda-t-elle, levant à peine un instant les yeux, en ayant vu suffisamment pour évaluer la situation.
- Je pense avoir bientôt la solution de toute cette histoire. Tu t'es rencardé sur que je t'ai demandée ?
- Parlons- en, me réveiller en pleine nuit pour ça... gromela-t-elle.
Jérôme, déjà plongé dans le dossier qui était posé sur le bureau, n'entendait que sourdement ce qu'elle disait. Ensuite, il passa plusieurs coups de fil. Annie le regarda faire et tenta de comprendre. Finalement il appela le commissaire Lagrue :
- Allez donc apporter des croissants au jeune Fabry, je crois qu'il trempe dans la sauce où son père mijotait... Mais allez-y, bon sang, avec tout votre arsenal, gyro, panier à crevettes... Euh oui, à salade… Oui, j’ai un petit creux, je pense. Je ne vais pas vous faire un dessin tout de même… J’arrive avec les preuves.
Jérôme s'énervait tout seul avec son téléphone.
- Toujours aussi buté, ce Lagrue, s’il espère avoir une promotion comme ça, il y a du boulot, marmonna-t-il.
- Il a des circonstances atténuantes, répliqua Annie. Est-ce que tu entends comment tu t’adresses à lui ? J’ai l’impression d’entendre un vieux couple !
Il se versa un verre de whisky, s'installa dans son fauteuil, étendit ses jambes et posa ses pieds sur son bureau.
- Ouais, ouais, peut-être. T'as du feu, Nini ?
- Jérôme, je n'aime pas les mystères, dit Annie en lui lançant une boite de suédoises. Dis-m’en plus. Nous sommes associés, je te rappelle.
- OK, fais-nous monter du café, de l’expresso de chez Marcel et des croissants aussi.
- J'y vais moi-même, ça me permettra de faire quelque chose. Je ne comprends pas que tu restes là, assis, à ne rien faire. Et tu ne perds rien pour attendre !
- C'est ça, c'est ça, vas-y... et Jérôme se renversa sur son fauteuil, inhalant la fumée de sa cigarette qu’il recrachait en de minces volutes vers le plafond taché.
Lorsqu'Annie remonta avec les cafés, Jérôme était toujours dans la même position, avec en plus un sourire qui tenait plutôt du rictus.
- Pas de nouvelle ? demanda-t-elle alors qu'elle avait encore le bouton de la porte dans la main.
- Mais si ma petite Nini, grâce à nous, les activités quelques peu douteuses de notre futur député ont été mises à jour. Ses collaborateurs commencent à tomber les uns après les autres. Lagrue a déjà coincé les plus proches dont son fils. Il fait en ce moment même des perquisitions, perquisitions qui s'avèrent très fructueuses.
- Mais encore ? Annie s'impatientait et trépignait, visiblement agacée par l'attitude décontractée de Jérôme. Vous lui avez dit que vous y alliez avec des preuves.
- Oui, oui, enchaîna Jérôme d’un ton las. Tu te souviens d'Arcioni qu'on a soupçonné au début parce que ses hommes collaient au signalement des suspects qui ont buté Fabry ?
- Oui je me souviens... Annie prit un air songeur. C'est soi-disant le patron de toutes les boites de la région.
- Et bien, ce n'était qu'une façade. Ce n'était que l'homme de main de... Fabry.
- De Fabry ? Mais alors comment se fait-il ?...
- Tout simplement parce que Fabry s'est fait doubler par son plus proche collaborateur, celui qui se chargeait de trouver les filles et les monnayer.
- Des filles pour quoi ? J’avoue, Jérôme, être un peu perdue.
Jérôme fit une pause, alluma une cigarette et se versa un deuxième whisky qu'il but d'un trait.
- Et dis-moi, demanda Annie d'un air soupçonneux, pourquoi as-tu voulu des renseignements sur Samia ?
- Parce que c'est une pute de bastringue. Une actrice quoi !
- Ah bon, elle est fortiche alors ! s’exclama Annie.
- Plus vraie que nature. Son seul client était Fabry. Quant à Fabry fils, ce devait être son ami de cœur, quoique là, c’est peut-être aussi de la frime. Jouer à la poule de luxe, comme couverture, c'est original et bien trouvé.
- Ah j'ai compris, C'est Samia le bras droit de Fabry. Et comme elle a voulu tout contrôler, elle a pris le fils comme amant pour avoir un atout dans son jeu au cas où. Visiblement, elle dirigeait personnellement Arcioni et sa bande et aurait bien fait main basse sur l'héritage. Elle n'avait pas compté sur le fait que Fabry adorait sa fille, et c'est pour ça qu'elle a voulu la tuer !, s'exclama Annie, le visage illuminé.
- Alleluia ! Tu es un génie, ma chère collaboratrice ! C'est texto le scénario original. Je vais faire un tour. Lagrue m’a appelé pour me dire qu’il avait toutes les preuves qu’il voulait et que ma présence n’était pas souhaitée…
Il se leva nonchalamment comme quelqu’un de satisfait et de reposé.
- Tu vas retrouver Karine ? demanda Annie qui tamponnait un dossier « CLASSÉ ».
- Elle et moi nous nous connaissons depuis longtemps.
- Encore une histoire que tu dois me raconter, lui suggéra Annie avec un clin d’œil.
Dans la rue Jérôme aspira une bouffée d'air frais. Tout en marchant, il pensait à la frimousse de Karine tout contre lui, baignée de larmes. Lorsqu'il lui demanderait de l'épouser, elle aurait son petit air surpris.
Alors, il la prendrait dans ses bras et ils scelleraient leur serment d'un long baiser. Ça, c’est une fin qui arrive peu souvent au héros. Jérôme était tout sauf un « poor lonesome cowboy »…
Peut-être que le héros vous semble avoir une morale douteuse ? « Nobody’s perfect » (in Gentlemen prefer blondes de Billy Wilder)