Le deuil et ceux qui restent
Bien souvent, le seuil d’un proche, de celui ou celle très proche, comme le compagnon ou la compagne ou encore l’enfant, de ceux et celles avec lesquels nous vivons au quotidien, nous laisse dépourvus.
Un très beau et rare film en parle ; Ceux qui restent avec Vincent Lindon et Emmanuelle Devos, 2007 de Anne le Ny.
Oui, le parent, le compagnon, la compagne de toute une vie ou de quelques dizaines d’années – peu importe – et bien, il ou elle se retrouve seul.
Et tous les mots comme « il était malade », « ça devait arriver », « il a eu une belle vie » et le « vous le saviez » que j’ai entendu à la mort de ma mère quand j’avais 22 ans et que je trouve les plus violents alors que ne subsiste qu’une grande et profonde injustice.
Cette solitude de l’endeuillé qui me fait tout de suite penser à une vieille femme courbée en deux ou très droite, toute vêtue de noir, noir qu’elle ne quittera jamais ou peut-être dans son cercueil si tel est son souhait.
Ainsi donc, le ou la survivante, reste, est là dans le quotidien, dans les meubles, avec les objets, les vêtements, le bol de petit déjeuner de l’autre au petit matin.
Et des petits matins, il y en a après, plein. Ils se succèdent à un rythme de métronome qu’on oublie.
Le soleil, la nature s’en fichent. Ils suivent un rythme immuable qui faisait que les jours ses suivaient sans qu’on y prenne garde, sans qu’on prenne ce temps d’admirer le jour qui se lève, éclairant les gouttes de rosée déposées pendant la nuit comme par magie.
Et c’est bien ça qui nous surprend dans la mort de l’autre, cette magie que nous redécouvrons dans chaque instant, nous demandant comment nous avons pu manquer ça.
Et viennent ces étapes du deuil – 5 étapes décrites par Elisabeth Kübler-Ross, médecin psychiatre, pionnière dans l’accompagnement des personnes en fin de vie – mais nous ne savons rien de cette théorie alors la culpabilité et les regrets nous envahissent.
Comment avons-nous pu laisser passer un jour, un matin, un soir sans un baiser d’amour ? Sans un mot doux susurré plus que murmuré à l’oreille de l’autre, oreille que nous ne saurions pas décrire aujourd’hui ?
Que s’est-il passé pour que les reproches remplacent ces petits gestes que nous donnerions à foison maintenant que l’autre n’est plus ?
Et ces colères injustifiées que nous avons déversées à son encontre, comment les effacer ?
Et nous savons que ce n’est plus possible.
Alors la colère nous envahit mais pas seulement contre nous, contre lui aussi, contre elle, l’absente, l’absent. Et cet abandon de l’autre révèle en nous ne telle blessure qu’elle nous déchire de part en part, en un cri muet, impuissante, impuissant que nous sommes.
Les yeux secs, nous pouvons repasser par cette phase de culpabilité devant un voisin, un inconnu, dont le visage est baigné de larmes.
Pourquoi diable ne pleurons-nous pas ?
La mort de l’autre fait remonter tellement de sentiments et d’émotions que nous ne savons pas quoi en faire.
Personne ne nous a appris à les exprimer.
Personne ne nous y a encouragé.
C’était même l’inverse.
« Ne pleure pas ! »
« T’as pas honte ! »
Ou bien «Tu pleures pour rien ! »
« Tu trouves ça drôle ? »
« Lui, sa colère est terrible, ne prends pas exemple sur lui ! »
« Pourquoi tu ris ? »
Alors là, avec la disparition de l’autre, nous craquons comme on dit et nous craquons mais seulement de l’intérieur, à notre façon, incompréhensible pour les autres.
Parfois ces autres qui vivent le même deuil mais pas avec les mêmes perceptions, pas avec les mêmes histoires, pas avec les mêmes souvenirs, ceux-là nous condamnent.
Les autres et moi, c’est plusieurs solitudes qui se côtoient. On dit qu’on se comprend mais ce n’est pas vrai.
Nous sommes vraiment seuls et le pire est que nous SENTONS vraiment seuls.
Devant le corps inerte, comme dans une série ou un film où le héros se relève, nous refusons d’y croire.
Nous nions ressentir, non pas de croire à la mort mais à l’inéluctable, alors nous accusons ; l’hôpital de négligence, nous-même d’inattention, le frère de ses mots durs, le compagnon de son indifférence et nous nous enfermons dans le mutisme ou au contraire, nous racontons encore et encore, alimentant une histoire qui finit par être vraie mais qui n’est qu’une façon de nous persuader que nous avons raison.
Pas nous ! Pas moi ! Je ne suis pas coupable, pas de ça et peut-être que le mort, la morte devient saint, lavé de tout, la personne idéale que nous croyons avoir côtoyé ou à l’inverse celui ou celle qu’on honnit pour nous avoir fait tant souffrir.
Et les larmes arrivent, peut-être pas pour pleurer cette mort mais de façon inattendue pour un autre événement et là, ce flot ininterrompu nous surprend, complétement disproportionné par rapport à l’événement.
Nous ne le savons pas mais enfin, nous pleurons ce deuil qui nous a fait traverser toutes ces phases que nous n’avons même pas identifiées.
Peut-être que les larmes arrivent des années plus tard.
Avons-nous pris conscience que nous étions morts quelque part en nous depuis ce deuil ?
Non et personne ne s’en rendait compte puisque notre vie semblait si bien repartie, entre rires, fêtes, voyages, travail, amis et peut-être nouvel enfant ou nouvelle compagne.
Et pourtant, l’incompréhensible est là, des larmes, un torrent comme oubliées quelque part en nous et enfouies tellement profondément qu’elles jaillissent, souvent le soir.
Nous les cachons parfois.
Et c’est là qu’il est si utile de tendre une main à ceux et celles qui restent, leur dire qu’ils peuvent être aidés à surmonter cette épreuve, à traverser ces moments d’après, accompagnés.
Qui en parle vraiment ?
Nous avons tellement de tabous et de « je crois que c’est mauvais » que la mort, si intime, en fait aussi partie et pourtant, elle est présente à tout instant, à chaque moment de nos vies.
Le chat qui mange une souris, le soleil qui s’éteint chaque soir, la retraite qui marque la fin d’une vie remplie de travail, l’araignée qui piège un insecte, le même insecte gobé par un oiseau.
La nature s’encombre-t-elle de sentiments humains lorsque la mort survient ? Non, car l’humain est unique mais il peut prendre exemple sur la nature dont il fait partie inhérente.
Ces morts, quelles que soient nos croyances, sont des paysages, des transformations. Si ce n’est pas le corps ou l’âme du défunt, de la défunte, c’est bien de nous qu’il s’agit.
La métamorphose et le changement de celui ou celle qui reste est indéniable. Chaque individu va l’accepter ou pas mais la traversera d’une façon qui lui sera propre.
Encore une fois, savoir que des mains tendues existent et les saisir est plus qu’important.
Le dire encore et encore pour se faire accompagner et ne pas laisser les anniversaires nous enfoncer un peu plus.
J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi ma grand-mère n’aimait pas son anniversaire. Son frère était mort à la même date.
Elle avait laissé le deuil la submerger jusqu’à effacer sa propre existence et ces moments de réjouissances.
Oui, les dates anniversaires sont comme des grammages qui s’ancrent et s’accrochent dans nos mémoires et chaque année, nous pouvons choisir de les célébrer en nous félicitant de les avoir traversés ou à l’inverse, nous y engluer et nous y perdre.
Aussi, encore et encore, même si moi je me moquais des conseils qui proposaient d’en parler à un professionnel de santé, et j’entends par là tout thérapeute – pas seulement un médecin -, ma vie et ma vision des évènements de ma vie ont changé quand j’ai consulté une psychothérapeute – profession sur je détestais – (mais ceci est une autre histoire).
Prenez soin de vous (même si certains et certaines détestent cette expression) et demandez de l’aide !
Ma création de l’application Les Routes du Bien-Être sont ma façon de partager ce que j’ai reçu après que j’ai compris qu’être aidé, accompagné, écouté par un professionnel, un thérapeute, un spécialiste est essentiel.